Et si soulever le plafond des immeubles était l’occasion de construire « un tissu urbain bienveillant, harmonieux et durable », pour reprendre l’expression de la ville de Paris ? Au lendemain de la présentation du « pacte pour la construction parisienne », ajouter ou plusieurs étages à un bâtiment existant répond en effet aux exigences du plan local d’urbanisme bioclimatique en cours d’élaboration par la capitale. Selon une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR), 10.000 immeubles pourraient faire l’objet de surélévations, soit environ 500.000 mètres carrés de surfaces de plancher, équivalent à plus de 40.000 logements.
Construire la ville sur la ville a bien des avantages : encourager la mixité – du résidentiel parfois au-dessus de bureaux -, éviter l’imperméabilisation des sols – le terrain est déjà artificialisé -, protéger la végétalisation – elle peut même en ajouter -, le patrimoine – la surélévation est très encadrée en ce sens – et restructurer plutôt que démolir. De même qu’elle est bas-carbone – érigée en bois le plus souvent -, favorise un chantier optimal – en construction hors-site généralement -, a une dimension collective – associe la copropriété -, crée des communs – un ascenseur, un local vélo… – et est évolutive dans le temps.
Outre Paris, seul le marché des grandes villes permet à ces opérations de trouver un équilibre économique et financier avec un prix de vente minimal à 5.000 euros le mètre carré, témoigne Vincent Furer, président de Valerty, maître d’ouvrage spécialisé. Associé à des partenaires techniques – bureau d’étude, architecte, comptable, banque, notaire -, il doit obtenir l’accord d’une assemblée générale de copropriété avant de réaliser quelques travaux que ce soient.
Des incitations pour convaincre la copropriété
Depuis la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR (2014), cette décision ne doit plus être prise à l’unanimité, mais peut être adoptée grâce aux 2/3 des tantièmes, la part de copropriété que possède chacun des copropriétaires. Plus un copropriétaire paye un lot de grande valeur par rapport à son voisin, plus il possède en contrepartie une proportion plus grande de parties communes et donc de tantièmes. Les copropriétaires du dernier étage ne peuvent pas non plus y opposer leur veto. Ils bénéficient toutefois d’un droit de priorité pour acquérir les nouveaux lots ainsi construits.
Pour convaincre l’ensemble des copropriétaires, le professionnel propose traditionnellement des mesures incitatives, comme la réfection de l’ascenseur, de la cage de l’escalier ou un ravalement de façade. Les prix des ventes des lots ainsi construits sont alors versés au syndic des copropriétaires et viendront, au choix du syndic, soit compenser les charges, soit alimenter le fonds travaux. Ces sommes peuvent même être redistribuées en tout ou partie aux copropriétaires. « Quand la copropriété vend ses droits de surélévation, l’argent qu’elle reçoit est exonéré d’un impôt sur la plus-value immobilière », poursuit Vincent Furer.
Réalisant les travaux sur l’existant et le projet de surélévation, il créé pour chaque projet une société de construction vente (SCCV) qui porte les risques juridiques, techniques et financiers – les copropriétaires n’ayant aucun frais liés -. De la même manière qu’il contracte une garantie financière d’achèvement (GFA) bancaire et souscrit une assurance dommage (DO) sur l’ensemble du projet (l’existant et la surélévation). A ce jour, le président de Valerty revendique une opération de 200 m² à Paris XVè – deux quatre-pièces – livrée au premier trimestre 2022 et une seconde à Montrouge prévue pour le deuxième trimestre 2022. Avant de déclarer une « dizaine de projets en cours de négociations avancées » à Paris et première couronne ainsi qu’ à Lyon, une surélévation de cinq niveaux « prochainement en phase permis de construire ».
L’exemple lyonnais
La capitale des Gaules s’intéresse particulièrement à ce qui est parfois qualifié d’exhaussement, confirme Didier Mignery, président d’UpFactor. Dans le 3ème arrondissement lyonnais, devraient sortir 863 mètres carrés de surfaces de plancher et 136 m² de terrasses en surélevant un bâtiment A sur trois niveaux et en densifiant un bâtiment B sur six niveaux. Onze logements – un studio, six trois-pièces, trois quatre-pièces et un cinq-pièces – vont être créés. De la même façon que dans le bâtiment A l’ascenseur sera remplacé, un élévateur et des escaliers vont être installés dans le bâtiment B. Sans oublier la création d’un local vélo et d’un local poubelle. Montant total de l’opération : 3,116 millions d’euros, dont 530.250 € alloué à la reprise des parties communes.
Ce tiers de confiance entre copropriétaires et promoteurs, qui détecte les possibilités grâce à un logiciel qui analyse les emprises au sol et les hauteurs en les couplant aux plans locaux d’urbanisme, prend un pourcentage de 3 à 5% sur la valeur créée. Par exemple, explique-t-il, 500 nouveaux mètres carrés vendus 10.000 €/m² permettent de créer 5 millions d’euros de valeur, dont 10 à 15% serviront à financer les travaux. Il revendique ainsi un partenariat avec l’administrateur de biens Oralia (groupe Nexity) pour scanner tout leur patrimoine lyonnais et francilien, soit plus de 200 projets.
Le président d’Upfactor s’est en outre associé à Vestack, société spécialisée dans la construction hors-site, c’est-à-dire de la préfabrication à laquelle s’ajoute une dimension industrialisée de l’assemblage sur site et sur le transport de la production au site. « La construction modulaire est 2 à 3 fois plus rapide qu’un chantier classique à surfaces équivalentes », explique son président Sylvain Bogeat. « Grâce à un engin de levage, c’est réalisé en quelques semaines. L’utilisation de bois d’ossature français, sauf pour certaines poutres renforcées, allège la structure », ajoute le co-fondateur de cette jeune pousse qui vient de lever 2,6 millions d’euros.
Une solution miracle ?
Afin de mettre en œuvre tout projet de ce type, « il convient de s’assurer que celui-ci est permis au regard des documents d’urbanisme applicables à l’immeuble, notamment en termes de hauteur et de gabarit », prévient l’avocate Elisa Bocianowski, associée en immobilier au sein du cabinet d’avocats Simmons & Simmons. Autrement dit, si l’immeuble concerné est une dent creuse, c’est-à-dire un petit immeuble situé entre deux autres plus grands, il est possible de le surélever dans la mesure où cela s’intègre de façon harmonieuse dans la composition d’ensemble.
« Des surélévations peuvent défigurer une ville, c’est donc une question à travailler de manière très réfléchie, en regardant notamment la cohérence et l’insertion dans l’environnement », abonde le directeur général France d’Immobel. « En France, on utilise très peu les espaces extérieurs des immeubles comme cela peut se faire à New-York. Or donner un usage extérieur à des toits terrasses serait une démarche intéressante », ajoute Fabien Acerbis.
Pour les promoteurs installés, ce n’est pas la solution miracle pour autant. « Elle a un intérêt pour travailler sur un foncier déjà existant mais c’est une solution très ponctuelle, marginale et insuffisante car elle ne permet pas de réaliser un grand nombre de logements supplémentaires pour répondre à la pénurie de logements dans les métropoles », estime le directeur général chargé du résidentiel et des régions de Vinci Immobilier, Bruno Derville.
La nécessité d’une requalification urbaine
En réalité, la surélévation fonctionne mieux sur des opérations de transformation urbaine. A Tel-Aviv, par exemple, dès qu’un immeuble est restructuré, la ville israélienne donne le droit de le réhausser de plusieurs étages afin que cela finance les travaux, témoigne le président de Sogeprom. « En France, cela ne devrait pas être un débat mais une évidence ! », s’exclame Éric Groven.
« Alors que c’est presque partout réalisé de manière décomplexée et délibérément novatrice, aux Etats-Unis ou aux Pays-Bas, notamment par l’architecte Winy Maas, ici en France, il faut toujours rester dans l’épure et prolonger les façades par des matériaux identiques et non démontables », appuie le président de Quanim, Michel Piloquet.
Même dans ces cas de requalification, leur confrère d’Eiffage Immobilier, témoigne, lui, de la nécessité d’un environnement favorable. Après avoir acquis un terrain à Orange boulevard Brune dans le XIVème arrondissement de Paris, il y a transformé un immeuble de bureaux en logements avant de le surélever en bois d’autres habitats. Surtout, le voisinage l’a laissé tranquille. A gauche, des bureaux Orange et à droite, des logements sociaux appartenant à Toit et Joie, filiale de La Poste Habitat. Résultat : 200 logements supplémentaires (20 à 25% sociaux au profit du bailleur social du groupe La Poste) dont la partie extension a été revendue sur le marché libre.
En revanche, Philippe Plaza n’imagine pas construire au-dessus de logements occupés.« En termes de responsabilités et de risques un chantier avec des occupants en-dessous, c’est très pointu », déclare Philippe Plaza.
« Tous les bâtiments ne peuvent supporter une charge structurelle supplémentaire, les toitures accueillent généralement des installations techniques à prolonger, une surélévation nécessite alors des reprises en sous-oeuvre ou des installations techniques dans des bâtiments généralement occupés », acquiesce le président du conseil national de l’ordre des architectes. « Il faut donc un diagnostic architectural et urbanistique approfondi pour valider la faisabilité, et quand c’est possible, s’orienter vers des solutions légères bois ou métal pour éviter d’apporter trop d’efforts nouveaux, descentes de charge, efforts au vent, sur la structure du bâtiment », ajoute Denis Dessus.
L’obstacle politique
La surélévation peut en outre se heurter aux décisions politiques. « C’est un moyen intéressant pour produire plus, mais lors des rendez-vous avec des maires ou leurs services, on voit qu’ils sont très réticents à surélever, alors même qu’on propose des projets souvent très qualitatifs », confie Hervé Legros, président-fondateur du groupe Alila.
Même à Paris, où la crise du logement est à son climax, la mairie peut y opposer un refus au titre de l’article UG11 du plan local d’urbanisme selon lequel le projet doit s’intégrer dans l’environnement urbain. « C’est parfois plus de la politique que de l’urbanisme en réalité lors de la phase du permis de construire », relève Vincent Furer, président de Valerty, maître d’ouvrage spécialisé.
C’est pourquoi pour s’assurer que tout se fasse dans les règles de l’art, le président des promoteurs-rénovateurs (ex-marchands de bien, Ndlr) de la fédération professionnelle Unis-Île-de-France, Eric Brico recommande, lui, de conditionner toute promesse de vente à l’obtention d’un permis de construire définitif et l’absence de recours et de retraits administratifs, type préemption.
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Retrouvez les quatre épisodes de la série « La densification, remède à la crise du logement neuf dans les métropoles ? »
Épisode 1. Montpellier doit-elle renouer avec la construction très verticale ?
Épisode 2. Les tours, un sujet toujours tabou ?
Épisode 3. La surélévation, une fausse bonne idée ?
Épisode 4. Le recyclage des friches, un levier pour le logement neuf ?
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