Le premier confinement de la crise du Covid-19 a été un grand bouleversement. Il a vu naître des projets ambitieux, notamment chez France Télévisions le concept Apollo, lauréat d’un trophée SATIS 2021.

Apollo a été conçu et développé au sein du service ingénierie process moyen des échanges de France Télévisions par ses trois concepteurs : Christophe Kar, Nicolas Briand et Yannick Olivier. Ils nous présentent les possibilités actuelles et futures de leur mission… Apollo !

Pouvez-vous nous décrire l’activité de votre service au sein de France Télévisions ?

Nous mettons en place des moyens techniques pour la rédaction nationale de France Télévisions ou les régions de France 3 : transmissions satellites, transmissions et workflow de fichiers. Nous intervenons auprès des équipes en mobilité, sur les stations de montage mobiles des équipes de tournage et les unités de tournage smartphone UTS et gérons la contribution vidéo (diffusion temps réel d’un flux vidéo live compressé entre l’ensemble des régions France 3 et le siège de France Télévisions). Nous travaillons de plus en plus autour de systèmes centrés sur le transport audio-vidéo IP ST-2110. Supportant toutes les solutions que nous mettons en œuvre, nous sommes le seul service d’ingénierie à assurer une astreinte en coordination avec les cadres techniques régionaux et l’ingénierie de process support au siège (la maintenance). Arnaud Kotlarczik est le responsable du service, épaulé par Arnaud Courtois, coordinateur de projet. Thierry Pieszko, Benoît Michel, Christian Perrin sont chefs de ce projet et avec Amy Rajaonson et Mathieu Payraudeau, nous sommes cinq ingénieurs technos.

Détails de la présentation des salles de montage dans Apollo. © France Télévisions

Pouvez-vous nous décrire le concept d’Apollo qui a obtenu le trophée SATIS 2021 dans la catégorie postproduction ?

C’est un portail d’accès via un site Web interne à des stations de travail virtuelles déployées dans un data center, équipées d’une carte graphique de qualité, d’un gros CPU et de beaucoup de RAM. Nous demandons à un fournisseur cloud, en l’occurrence AWS, de les mettre à disposition selon les besoins. Lorsque la machine est arrêtée, la facturation l’est également. Le coût horaire se situe entre 2 et 2,50 euros. Notre choix dans le catalogue d’AWS est la G4 dans l’offre EC2 équipée d’une carte graphique Nvidia Tesla T4 associée à une configuration évolutive. Nous pouvons y installer des logiciels comme Adobe Premiere Pro et/ou le logiciel de production live vMix sous Windows. Pour du montage en HD, nous exploitons des machines à huit cœurs avec 16 Go de RAM ; pour de l’UHD multipistes nous pouvons utiliser des processeurs 32 ou 64 cœurs, avec de 128 à 256 Go de RAM. L’offre d’AWS convient pour cette mise en place rapide, mais nous restons ouverts à d’autres solutions cloud.

Comment utiliser une salle de montage avec Apollo. © France Télévisions

Comment les utilisateurs accèdent-ils à Apollo ?

La plate-forme est accessible via une page Web (apollo.francetv.fr). L’utilisateur s’y connecte avec ses coordonnées et voit les salles de montage virtuelles disponibles (on-air), éteintes ou libres. Les stations de montage sont uniquement accessibles via un ordinateur France Télévisions avec une liaison VPN privée et sécurisée (un lien direct) entre France Télévisions et AWS. Tous les flux empruntent cette liaison via un firewall. À la demande d’un utilisateur, en moins d’une minute, la machine passe en statut libre et la facturation débute. Quand une machine n’est pas démarrée, nous payons uniquement son stockage (5 euros par mois) et nous provisionnons des machines d’avance, prêtes à être utilisées.

Quel a été le besoin initial à l’origine d’Apollo ?

Notre activité a été bouleversée lors du premier confinement et nous nous sommes alors intéressés à des technologies que nous connaissions peu. Les monteurs devant rester chez eux, nous avions comme but initial de trouver une solution pour que la postproduction puisse se faire à distance, ce qui nous semblait initialement impossible. En analysant une station de montage, c’est un CPU (processeur), de la RAM et surtout une carte graphique : des éléments disponibles dans le cloud. Nous avons effectué un comparatif de toutes les solutions et configurations existantes auprès des fournisseurs cloud. Pour la prise en main à distance il faut installer un logiciel dédié. Avec la solution Windows MSTSC (Microsoft Terminal Server Client) la fluidité d’affichage était inférieure aux 25 images/secondes nécessaires.

Page d’accueil, accès aux salles de montage sur Apollo. © France Télévisions

Durant cette période de confinement, de nombreuses personnes ont testé des outils de pilotage des machines sur site. Avez-vous envisagé ce type de solutions ?

L’agent de prise en main à distance était déjà disponible sur leurs machines. Ces solutions ont été mises en œuvre dans le réseau France 3. Notre but était différent. Nous souhaitions avec Apollo proposer des machines supplémentaires disponibles très rapidement. À partir du moment où les instances sont disponibles chez AWS, nous pouvons installer une machine en moins d’une trentaine de minutes. Apollo présente plusieurs avantages : nous nous dédouanons de la maintenance des équipements surtout si, du jour au lendemain, nous doublons le nombre de monteurs, le nombre de machines dans le cloud peut s’adapter.

En termes de maintenance, votre solution semble idéale !

Oui, si la machine a un problème il suffit de la supprimer. Apollo est aujourd’hui un outil pérenne et s’éloigne d’une réponse temporaire au confinement, à l’image de la solution mise en place avec succès à France 3. Dans le cas de pilotage de machines physiques, ces dernières doivent être démarrées manuellement, la salle de montage étant ensuite physiquement occupée. Un rédacteur ne peut pas prendre en main la station en même temps que le monteur, il doit être présent dans la salle de montage.

Schéma d’exploitation d’Apollo pour du montage à distance. © France Télévisions

Comment avez-vous trouvé un outil de prise en main satisfaisant ?

Nous avons testé les logiciels du marché : Teradici (présent depuis longtemps dans le milieu broadcast), Nice DCV (société italienne rachetée par AWS implantée dans le milieu du graphisme 3D sur stations Linux), l’outil de contrôle de VNC à distance, et Parsec. Nous avons validé Nice DCV dont la licence est gratuite pour les utilisateurs du cloud AWS. L’avantage de Nice DCV c’est qu’un débit assez bas suffit : la vidéo est compressée entre 2 et 10 Mbits/sec et la latence est inférieure à 80 ms. Plusieurs personnes peuvent prendre en main la même station à distance, un rédacteur et un monteur par exemple. Au lancement de la lecture, tout le monde visualise simultanément le même film. Un client lourd, un client léger et un client Web (permettant l’accès à la machine depuis Chrome) sont disponibles. L’affichage peut se faire fluidement sur quatre écrans en HD. Nice DCV utilise en permanence la carte graphique pour encoder ses flux avec le minimum de latence. Aujourd’hui, nous lisons à 30 fps (60 fps possible). Il est également possible de connecter une clé USB pour transférer des données. Pour accéder à sa salle de montage, l’utilisateur a besoin d’un simple ordinateur bureautique avec une configuration basique, du logiciel de pilotage et de son VPN FTV.

Pouvez-vous exploiter un écran de retour vidéo connecté en SDI ?

Nous pourrions le faire sur une prochaine version d’Apollo.

Exploitation d’une salle de montage Apollo. © France Télévisions

Comment installez-vous la station de montage dans le cloud ?

Nous installons sur les G4 d’EC2 tous les outils et optimisons la station avec une suite de scripts selon une recette interne qui comporte la préparation de Windows (désactivation de clés de registres, etc.) et l’installation des logiciels. Grâce au script, une machine est déployée en vingt minutes, ce qui est plus rapide qu’une installation sur une machine physique (deux heures). Nous avons ensuite travaillé avec quelques personnes intéressées par la technologie chez notre client historique, le CDE (Centre de diffusion et d’échanges). Au début d’Apollo, les utilisateurs devaient nous contacter pour démarrer leurs machines. Il était nécessaire de développer une surcouche pour permettre aux monteurs de choisir en autonomie les moments d’utilisation de leurs machines.

Dans le cadre de son contrat avec Amazon, France Télévisions dispose d’un portail interne cloud FTV permettant de provisionner des machines virtuelles qu’elles soient sur site ou dans le cloud. Apollo s’appuie sur l’API de cette plate-forme pour commander les machines sur lesquelles nous installons les logiciels voulus. Sur la page Web d’Apollo, nous avons des informations dont le numéro de la salle, l’adresse IP, la localisation et le coût horaire que nous avons souhaité conserver pour que les utilisateurs en conscience allument et éteignent correctement leurs stations. Au début d’une session, un fichier .DCV est téléchargé sur l’ordinateur de l’utilisateur pour lui permettre d’ouvrir sa machine distante et débuter son travail.

Comment gérez-vous les médias ?

Nous utilisons un outil France TV de gestion des échanges de fichiers iTransfert basé sur la solution IBM Aspera pour autoriser des échanges rapides (500 à 600 Mbits/sec) avec le stockage monté chez AWS.

Connexion à une salle de montage Apollo via Nice DCV. © France Télévisions

L’espace de stockage est commandé pour chaque mise en route d’une machine ?

L’espace de 5 To sert uniquement de transit pour le travail et est disponible en permanence. Une fois le montage terminé et le master exporté, les médias sont purgés (manuellement pour l’instant).

Qui sont les utilisateurs d’Apollo ?

Aujourd’hui nos clients sont les « reboutiqueurs » : une dizaine de personnes du CDE qui prennent en charge des tâches techniques : superposition audio et vidéo, sous-titrage, bornages de médias. Ils travaillent beaucoup pour le service numérique de France Télévisions, notamment Lumni. À partir de simples stations bureautiques, ils allument et éteignent leurs machines selon leurs besoins. C’est essentiellement à leur demande que nous avons développé la solution Apollo.

Y a-t-il des solutions « sur étagère » proposant les mêmes fonctionnalités qu’Apollo ?

Oui. Certaines ont été testées par différents services de France Télévisions avec plusieurs limitations concernant notamment le montage à distance à plusieurs. Pour l’instant, la seule solution pour que cela soit possible avec ces outils implique un partage d’écran Teams et une qualité d’image limitée. De son côté, la rédaction de France Télévisions utilise Dalet XCloud qui exploite le même portail cloud FTV qu’Apollo pour le provisionnement des machines. Avec Apollo, les utilisateurs ou les responsables de services sont autonomes. Ils choisissent la station et les applications qu’ils souhaitent. En cliquant sur « submit », la machine est déployée selon un script différent, en moins de vingt minutes. La machine sera alors libre, prête à être démarrée. Actuellement, l’essentiel du script est commun hors choix des logiciels déployés : Adobe Photoshop, Premiere Pro, After Effects, Illustrator ou la suite complète, VLC, vMix. Les applications Adobe sont activées automatiquement via un lien au serveur Adobe de France Télévisions.

Les outils utilisés autour de la solution Apollo. © France Télévisions

Avez-vous eu des demandes pour installer d’autres applications de montage telles qu’Avid Media Composer sur Apollo ?

Nous pouvons envisager l’installation de n’importe quel logiciel dans une prochaine mise à jour. Concernant Avid Media Composer, il faudrait tester le fonctionnement du logiciel dans notre environnement cloud et faire valider cette utilisation par Avid. Apollo est né d’un besoin de déployer des salles de montage, mais nous avons également testé l’outil avec vMix. C’est ce que nous avons présenté au dernier SATIS, en réfléchissant à un usage futur de remote production autour d’un mélangeur virtuel déployé dans le cloud et de caméras à distance. Pour l’instant, la solution Apollo a été pensée pour des besoins ponctuels, typiquement pour la couverture d’élections dans le réseau France 3 ou à France Télévisions, où on peut mettre à disposition des machines pour un surcroît de travail ou des besoins en calcul 3D.

Est-ce que votre recherche autour de vMix part d’un besoin ou d’une demande ?

Ce sont des réflexions nouvelles. Nous ne savons pas encore jusqu’où il est possible d’aller techniquement. Nous souhaitons déporter beaucoup de choses dans le cloud avec des postes de pilotage distants. Acteur de l’audiovisuel, AWS intègre des fonctionnalités dédiées utiles ; ils acceptent par exemple des flux SRT. Cependant le coût n’est pas négligeable avec une facturation cloud à 3 centimes par Gigaoctets. Nous avons entamé une réflexion financière dans le cadre des stations de montage exploitées cinq jours par semaine, huit heures par jour. Le coût conséquent doit être contrebalancé par les économies de maintenance, les coûts de l’électricité et la souplesse de pouvoir changer et d’adapter la machine à tout moment.

Pouvez-vous nous préciser comment vous exploitez vMix avec Apollo ?

Nous testons les possibilités de faire de la remote production à distance dans le cloud avec des caméras tourelles PTZ installées par exemple dans un stade de foot et du matériel de prise de son. Tous les flux transitent dans le cloud et entrent dans vMix pour être commutés, l’habillage graphique (synthés, génériques de fin et de début) sont ajoutés. Le programme est alors enregistré avant diffusion ou transmis vers une régie qui le convertit en SDI pour diffusion directe. Il est possible de prévoir un opérateur tourelle pilotant à distance ses caméras.

Quel serait le flux de la vidéo depuis les caméras PTZ jusqu’à vMix ?

Les flux SDI des caméras sont traités dans l’encodeur Aviwest et transitent via une agrégation réseau Starlink par satellite en orbite basse 3G, 4G ou 5G vers France Télévisions. Le signal emprunte ensuite notre liaison fibre dédiée vers AWS où il est décodé par le StreamHub Aviwest qui le dirige en NDI vers vMix. Le StreamHub est déployé sur un serveur Linux Ubuntu chez AWS via une image AMI.

Page de connexion à Apollo. © France Télévisions

Quels délais constatez-vous ?

C’est un critère très important. Le délai de 1,5 seconde est acceptable pour la commutation d’un réalisateur, mais nous avons pensé une autre solution pour l’opérateur caméra à distance. Un second encodage beaucoup plus rapide transite en WebRTC, le protocole exploité par Teams et tous les navigateurs, avec un délai de 300 ms entre l’action sur son joystick et le résultat sur le pilotage de la caméra.

Quels types de productions pourraient être intéressées par la solution vMix sur Apollo ?

Cela pourrait concerner des captations de match pour répondre à l’augmentation des besoins de production dans le cadre du renforcement de la régionalisation chez France 3. L’intérêt d’Apollo c’est d’être totalement agnostique. Apollo est une solution interne comparativement à d’autres solutions propriétaires. Nous pouvons demain utiliser un tout nouveau logiciel qui deviendrait à la mode dans le secteur audiovisuel. Si du jour au lendemain, France Télévisions change de fournisseur cloud, Apollo sera totalement compatible.

Transferts de fichiers dans l’exploitation d’Apollo. © France Télévisions

Quel est l’avenir prévu pour le projet Apollo ?

Il manque pour l’instant des fonctionnalités pour que l’on puisse rendre Apollo disponible à l’ensemble de France Télévisions. Pour Apollo V2, en plus d’un travail sur le design, nous souhaitons intégrer des données de facturation et des statistiques d’utilisation. Le coût horaire d’exploitation de la solution doit être défini pour affecter les dépenses aux chefs de services demandeurs. Le stockage temporaire est actuellement commun, nous devons le segmenter par région ou par service. La chaîne NOA est fortement intéressée à la fois pour un stockage pérenne des médias et pour des besoins de montage à distance. Plusieurs utilisateurs disséminés à différents lieux de la région travaillent pour cette chaîne.

Avez-vous eu des retours externes à France Télévisions ?

Nous avons présenté Apollo sur le SATIS et avons eu des échanges intéressants avec des personnes qui nous ont demandé si nous commercialisions Apollo, ce qui n’est pas notre but premier. Des BTS audiovisuels en filière montage trouvaient la solution intéressante pour déployer des machines lors des besoins plutôt que les acheter.

Article paru pour la première fois dans Mediakwest #45, p. 102-106

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